Témoignage d'un ancien transplanté
VIVE LA VIE ou LES CONSEILS AMICAUX D'UN ANCIEN
J’ai rédigé ce message à l'attention des futurs transplantés pour leur rapporter, dans le langage d’un non-spécialiste, l‘expérience que j’ai vécue. En effet, à cinquante ans, marié et père de quatre enfants, j’ai bénéficié au début de l’année 1986 d’une transplantation cardiaque.
Comme vous, vraisemblablement, je ne savais pas, précisément, ce que signifiaient les mots «transplantation» ou «greffe» lorsqu’on m’en parla pour la première fois ; je n'avais que des idées bien imprécises sur la question ; c’est peut-être également votre cas.
J’espère qu'après avoir lu ce papier, tout sera devenu un peu plus clair pour vous et que, peut-être, un certain nombre d’idées fausses auront disparu. Dans ce qui suit, je ne hasarderai jamais dans des précisions de caractère purement médical, ce qui n’est en aucun cas de ma compétence; c’est aux médecins que vous poserez toute question précise dans ce domaine.
Si j’ai écrit seul ce papier, et ceci à votre attention, je l’ai néanmoins, par prudence et par honnêteté, fait relire par les médecins qui m’avaient soigné, afin qu’ils y apportent toute correction utile.
Bonne lecture et bonne chance.
JP GAULLIER
Ancien Secrétaire Général de l’ADETEC
MAI 1986
Si votre état de santé conduit votre médecin cardiologue et le chirurgien à vous parler de greffe cardiaque ou de transplantation cardiaque, ne pensez pas un seul instant qu’il s’agisse d’une catastrophe; au contraire, c’est une grande chance qui vous est proposée et que vous allez saisir, après en avoir, bien entendu, discuté avec votre entourage.
Je m’explique: cette proposition n’est faite à un malade que si deux conditions sont réunies simultanément:
C’est pour lui une bonne indication médicale
Il présente, après examen, les qualités requises d’un bon receveur.
Vous comprendrez que si la seconde condition n’est pas satisfaite, les médecins et chirurgiens ne vous proposeront pas cette intervention.
Des examens précis, préalables, vont alors devoir être faits qui nécessiteront une hospitalisation de quelques jours; si, à l’issue de ces examens, il se confirme que les conditions physiques de votre organisme permettent de poser définitivement l’indication de la transplantation, alors dites-vous que vous faites partie de ceux à qui sont offerts une grande chance et un grand espoir.
A dater de ce jour débute cette merveilleuse histoire dont les acteurs seront les chirurgiens et les médecins bien sûr, mais aussi vous-même et votre entourage, car vous détenez 50% des cartes de la réussite, ainsi que nous allons le voir.
Le délai nécessaire pour trouver un donneur ne pourra pas vous être précisé; en effet les demandes en provenance de tous les hôpitaux qui pratiquent des transplantations sont nombreuses et les donneurs trop rares par rapport à ces demandes. L’attente peut durer plusieurs mois. L’hôpital vous appellera dés qu’il aura connaissance qu’un cœur est disponible. Dans un délai court (quelques heures) le prélèvement devra alors être effectué, et ceci par un chirurgien de l’équipe chirurgicale de l’hôpital qui doit vous opérer.
La période d’attente dont je parle plus haut semblera longue tant pour vous que pour votre entourage, et vous aurez peut-être la tentation de croire que vous êtes oublié; alors, bien qu’il n’en soit rien, n’hésitez pas, c’est un petit conseil que je vous donne, à relancer votre chirurgien; en cette période de pénurie de donneurs qui est la nôtre, il est bon de se rappeler de temps en temps au bon souvenir de l’équipe chirurgicale, gentiment bien sûr; j’ajouterai que votre ou vos interventions, n’en abusez tout de même pas, démontreront tant à vous-même qu’à vos chirurgiens votre détermination et votre impatience, en un mot l’espoir que vous et votre entourage mettez dans cette transplantation; croyez-moi, ils n’y sont pas insensibles, car ceci montre la solidité de votre moral, et le moral est une part très importante des cartes qui sont entre vos mains (les 50% dont je parlais plus haut).
Un beau jour, oui, car ce sera un beau jour, votre téléphone sonnera … Ce sera l’hôpital; il vous expliquera que le cœur d’un donneur compatible avec le vôtre leur est proposé et que vous êtes attendu à l’hôpital dans un délai qui vous sera précisé et qui dépend lui-même du temps nécessaire à l’équipe de préleveurs pour aller quérir et rapporter à l’hôpital le cœur du donneur.
Vous êtes alors à l’aube du succès, et l’on peut dire que le «compte à rebours» commence; il ne faut cependant jamais oublier que celui-ci peut s’arrêter pour de multiples raisons; ainsi, il peut arriver qu’après que vous vous soyez rendu à l’hôpital, et qu’un chirurgien soit parti quérir l’organe du donneur, on vous apprenne que le prélèvement n’a pu ou ne pourra avoir lieu, ceci pour des raisons médicales dont les médecins ou les chirurgiens sont seuls juges. Alors, et ceci est éprouvant moralement, il faudra repartir chez vous et attendre une autre convocation qui, comme la première, interviendra dans un délai non prévisible.
Nous nous plaçons dans le cas où le «compte à rebours» n’est pas interrompu; la transplantation va donc avoir lieu. L’opération durera de quatre à six heures, ce qui est vraiment sans importance pour vous; le chirurgien vous aura expliqué que, pour lui, la transplantation cardiaque est un acte très simple, beaucoup plus simple que la majorité des autres opérations cardiaques, ce qui est sûrement vrai et de toute façon rassurant. Le plus important est que vous avez confiance dans votre chirurgien; vous êtes convaincu qu’il a des doigts en or, et vous avez raison car cela est vrai.
L’opération est terminée. Vous êtes maintenant dans une chambre dite «stérile», c’est-à-dire que l’accès en sera interdit à toute personne non concernée par vos soins, ceci pour éviter l’introduction de microbes dans votre chambre. Pour diminuer cette sensation d’isolement, la porte de votre chambre a été équipée d’un oculus vitré; vous pouvez ainsi voir votre famille, et elle peut, elle aussi, vous voir; le téléphone intérieur permet de se parler … alors, ce n’est pas si tragique que cela!
L’équipe soignante, et plus tard quelques personnes qui viendront vous rendre visite, revêtiront avant d’entrer dans votre chambre des vêtements stériles (couvre-coiffure, masque devant la bouche, pantalon et veste stériles, couvre-chaussures). Vous constaterez que ces mesures de protection contre l’entrée des microbes sont scrupuleusement respectées; ceci représente des contraintes que tous acceptent; en effet, pourquoi risquer des problèmes infectieux par suite de négligences dans ce domaine?
Pendant cette période qui débute à votre retour du bloc opératoire, vous serez suivi étroitement par les médecins-réanimateurs qui prennent donc la succession de l’équipe chirurgicale, et qui vous prendront en mains; ils vous examineront plusieurs fois par jour et aussi souvent qu’il sera nécessaire; ils prescriront tous les examens et analyses; ils seront toujours prêts à répondre à vos questions et à tout vous expliquer.
Les infirmières, dont vous apprécierez la compétence, la disponibilité et la gentillesse, forment avec les médecins une équipe possédant toutes les qualités médicales et humaines que vous attendez. Vous serez comme moi, je pense, sensible à l’harmonie qui règne entre tous.
Le déroulement de cette période peut être comparé à une partie de jeu de l’oie; le jour de votre opération est appelé dans le jargon médical le «jour J». Imaginons, ceci est un exemple et je vous demande de ne pas vous arrêter à ce chiffre, que notre jeu possède 50 cases; chaque jour vous progressez d’une case; tous les sept jours un examen est pratiqué pour vérifier qu’aucun phénomène de rejet ne prend naissance; si c’est le cas, ce qui est classique et non inquiétant, un traitement sera prescrit qui, si je continue la comparaison, vous fera reculer de 7 à 8 cases sur notre jeu de l’oie. Il est usuel mais non obligatoire de connaître un ou deux incidents de ce type pour lesquels les traitements sont tout à fait connus et efficaces; votre moral ne doit pas être entamé pour autant; votre entourage vous y aidera.
Je parle souvent de l’entourage et de la place qu’il doit tenir à vos cotés; en effet, l’entourage, famille ou bons amis, constitue une aide précieuse dans les moments difficiles ou lors des déceptions passagères.
Pourquoi ai-je choisi le chiffre 50? Parce qu’il m’a plu …, que c’est sans doute un minimum (rarement atteint) que c’est, je crois, le nombre de cases du jeu de l’oie, et enfin, que 7 x 7 = 49; mais alors, pourquoi 50? Parce que la case 50 est celle où vous serez heureux d’offrir un pot à toute l’équipe qui, avec vous, aura gagné la partie!
Pour terminer, permettez-moi de vous donner deux derniers conseils:
Vers le jour «J + 15», c’est-à-dire 15 jours après l’intervention, il est tout à fait possible d’abandonner pyjama et robe de chambre qui vous confirmaient dans l’état de malade, et de vous habiller en tenue civile; je vous le promets, cela fait du bien au moral car on se trouve d’emblée sur le chemin de la convalescence; ceci n’est pas un détail, souvenez-vous en en temps opportun.
Lorsque vous serez sorti de l’hôpital, dites-vous bien que vous n’êtes plus malade; votre vie va désormais être une vie normale. Après que vous aurez retrouvé la musculature que votre séjour dans votre chambre vous aura un peu fait perdre, votre vie redeviendra celle de Monsieur-tout-le-monde. Vous ne faites pas partie d’une catégorie spéciale d’individus.
Vous vous rendrez compte alors, ainsi que je l’indiquais en titre de ce message, que LA VIE EST BELLE, et que si elle l’est redevenue, c’est tout d’abord grâce à une famille que vous ne connaîtrez pas, qui ne vous connaîtra pas, et qui, avec une grande générosité, a accepté que la mort brutale de l’un des leur vous permette, à vous qui étiez demandeur, de profiter d’un cœur qui ne demandait qu’à travailler encore. C’est grâceaussi à des équipes de chirurgiens, médecins et infirmières qui possèdent des qualités professionnelles et humaines hors du commun.
Je vous le promets; tout ce que j’ai écrit est la narration fidèle de ce que j’ai vécu ou ressenti. J’espère vous avoir aidé, en vous expliquant avec le maximum de clarté la magnifique histoire que vous allez vivre; c’est la grande chance dont nous pouvons profiter, nous qui vivons dans les années 1986, bénéficiant de tous les progrès et découvertes capitales de ces dernières années.
En guise de conclusion: ainsi que je le disais en préambule, j’ai rédigé ce message à l’attention des futurs transplantés. Ce travail constitue également un remerciement aux équipes cardiologiques du CH de St-Germain-en-Laye et du CMC Foch à Suresnes auxquelles je dois d’avoir, par la justesse de leur diagnostic et la qualité de leurs soins, créé les conditions me permettant d’aborder mon second cinquantenaire avec une grande confiance grâce à une forme physique totalement retrouvée.
Comment dire merci après un tel résultat?
Jean-Pierre GAULLIER
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